-
Magritte (2)
Nombreux sont les poètes à avoir écrit à partir de tableaux célèbres. Signalons Henri Michaux qui signa un beau livre constitué d'une trentaine de proses, descriptives et brèves, réunies sous le titre "En rêvant à partir de peintures énigmatiques", toutes inspirées par les toiles de Magritte.
Ne verra-t-on jamais dans un beau visage silencieux, ou dans un visage sans corps, ou dans une tête en plâtre ou en marbre, le front immobile prendre soudain mémoire de ceci ou de cela et la tempe se mouiller du souvenir d'un ancien événement tragique?
Si. C'est arrivé. Ici même. Une tache de sang est apparue et s'élargit.
Sur le blanc visage sans ombre, le souvenir "marquant", d'abord secret, s'est trahi. Le sang va sourdre de la blessure de l'âme.
Au-delà de la tempe, l'intense rouge s'étend, s'aggrave, va devenir ineffaçable.
Par la fenêtre, dans le monde du dehors, des nuages passent, qui paraissent pensés; qui paraissent ralentis, qui demeurent, telle une situation grave qui ne sera jamais réglée, sur lesquels le rideau, à la fenêtre, ne sera jamais qu'à moitié fermé.
Sortie de la main du sculpteur, entrée dans la matière, la vie continue.
D'elle-même, enfin, la pierre ressent, manifeste. A présent, elle revit un drame.
Saignant visage de marbre, par ailleurs inchangé, s'exprimant en silence.
Henri Michaux, Affrontements, Ed. Gallimard
Jean Joubert a longuement rêvé, lui aussi, devant le tableau intitulé "La mémoire". Cela vous donne l'occasion de comparer deux textes différents qui ont une source identique.
Tard est venu le temps de la mémoire
sur ce pays de brume
qu'un brusque éclair ravive.Le rideau est levé, le théâtre s'étire.
Ah! vois ce ciel peuplé de songes
et ce rivage où l'amoureuse
jadis entre ses doigts tissait le sable.Vois ce visage qui livrait
message bleu et tendre image
de jour et de nuit mêlés
dans la boule des corps.Alors dans son regard volait le feu.
Voici, les yeux fermés, la jeune morte,
désormais buste de pierre
avec au front l'éclat de sang :
la signature de l'orage.Poème inédit,1948, collection de l'Etat belge.
Quel texte vous touche le plus? Lequel vous emmène au pays des mots sur un grand cheval blanc?
Cette activité est décrite dans le livre de Béatrice Libert "Au pays de Magritte, Regarder, lire, écrire, créer" publié aux éd. Couleurs livres.
Tags : Magritte, peinture surréaliste
-
Commentaires
Les deux sont beaux mais j'aime mieux Henri Michaux...peut-être parce que je l'ai tout simplement déjà lu et que ces mots me parlent du coup :)
Tu m'as obligée à relire les deux textes pour choisir . Pas évident du tout . Mais je penche pour le premier , moins poétique ; je l'imagine mieux . Tu vois , je n'arrive pas à te dire ce que je ressens en lisant le premier texte . ne sois pas trop sévère ....
Bonne semaine qui arrive
Magritte et cette tâche de sang inspire de très beaux écrits. Je lis les deux sur mon beau cheval blanc et je choisis les deux poèmes, trop beaux tous les deux.
Le deuxième a été écrit l'année de ma naissance ... hier donc
Merci et très bon dimanche
Ajouter un commentaire
Tu m'as obligé à relire les deux, le choix n'est pas facile.
Finalement, je me suis décidée pour le second. Mais les deux me parlaient. :)